8 février 1918 – 4 décembre 2018.
Tourné le 16 juin 1990 à Lausanne.
Maurice Cosandey – Association Films Plans-Fixes
Il devint colonel dans l’armée suisse, puis chef d’artillerie. Il fut ingénieur en chef, puis directeur adjoint de la grande entreprise de construction métallique Zwahlen & Mayr SA Lausanne. Il fut professeur de construction métallique et en bois à l’EPUL, puis président de l’EPFL. Enfin président de l’organe directeur des écoles polytechniques fédérales. Mais la conversation avec lui est aussi sèche que son entrée dans le « Dictionnaire historique de la Suisse ». De cette manière, l’entretien avec Maurice Cosandey présente un mystère irritant. <
Maurice Cosandey peut se prévaloir d’une grande carrière. Elle lui a valu un poste de professeur honoraire en 1978 et un doctorat honorifique en 1989. Pourtant, la rencontre avec lui le 12 juin 1990 n’est ni impressionnante ni passionnante. Bertil Galland, qui mène l’entretien, et Maurice Cosandey, qui est interviewé, veillent, pour des raisons différentes, à ce que l’on ne voie que la surface des choses, et non pas leur contenu. Cela donne une rencontre fade et décevante.
Approfondir, problématiser, révéler ce qui est caché, ce n’est pas le genre de Bertil Galland. Il se contente de créer une atmosphère détendue en lançant avec entrain des mots-clés, auxquels une personnalité donne des informations sur ses réalisations. Les explications sont souvent assez superficielles : « Parlez-nous de l’entreprise Zwahlen ! » On apprend alors que l’entreprise familiale fabriquait à la Belle Époque des balustrades en fer pour les palaces du lac Léman, mais qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle n’a pas réussi à s’adapter à la modernité en raison de problèmes générationnels. Exception : le bureau technique. Créé par Maurice Cosandey, il fut en mesure de construire les halles d’aviation de Kloten et de Cointrin. A cette époque, le vice-directeur était déjà professeur de construction métallique et en bois à l’EPFL.
On apprend ensuite que Maurice Cosandey s’est vu proposer la direction de son école supérieure, qui s’appelait alors encore École polytechnique universitaire de Lausanne (EPUL) et était une institution cantonale. Mais le nouveau directeur ne voyait d’avenir pour celle-ci que si elle était prise en charge par la Confédération. Le conseiller fédéral Hans Peter Tschudi, ministre de l’Intérieur, lui demanda : « Est-ce urgent ? » « Oui. » « Alors tenez-vous au cadre donné. » C’est dans ce cadre que l’EPFL s’est développée sous la présidence de Maurice Cosandey. On apprend que l’école fut structurée en départements, que Cosandey créa un institut avec deux chaires de sciences des matériaux et qu’il voyait l’avenir dans la microtechnique et la microélectronique. Mais on n’apprend pas comment il vécut les différentes étapes de sa carrière.
Dans les « Plans Fixes », il se présente comme manager, mais pas comme homme. Cette impression est due au mode de communication : Maurice Cosandey ne raconte pas, il informe. Lorsqu’on informe, la personne reste en retrait, alors que lorsqu’on raconte, on s’implique. De cette manière, le film numéro 80 de la collection revêt un caractère paradigmatique. Il montre « pourquoi les cultures religieuses et artistiques survivent à la postérité et pourquoi les époques purement scientifiques n’ont qu’une vitalité temporaire ». – Egon Friedell :
La science améliore l’économie générale de l’existence ; elle découvre quelques nouvelles lois qui permettent de simplifier un peu l’équation de la vie ; elle rend la planète plus confortable et moins éprouvante : mais nous acceptons ses dons comme du pain et des pommes, avec une certaine satisfaction animale, sans toutefois atteindre un état d’esprit supérieur ni recevoir l’impulsion nécessaire à une activité spirituelle plus riche. Les résultats réels de l’esprit humain, ses découvertes et ses réussites ne contiennent rien de tonifiant, rien qui enrichisse notre propre vie. Nous « les acquérons » : notre contact avec elles est un simple processus d’addition, et non de multiplication ou d’élévation à une puissance supérieure. Les créations de l’art et de la religion, en revanche, qui n’ont en aucun cas perfectionné la machine de la vie, mais se sont contentées de compliquer encore davantage la question déjà si ambiguë de l’existence et d’ébranler le sentiment de sécurité sur lequel repose naturellement l’être humain, ont néanmoins toujours disposé d’un capital d’énergie spirituelle mystérieux : elles sont comme le vin qui oblige nos molécules à entrer dans des vibrations plus vives, amène de nouvelles vagues de sang à la tête et accélère toute notre circulation.
Il y a eu ainsi des époques entières qui ont un goût fade, comme de l’eau chimiquement pure : elles sont trop distillées, trop « clarifiées » pour nous, nous les trouvons imbuvables. Pour qu’une époque ait encore quelque chose à dire à la postérité, elle doit être une source vivante qui ne contient pas seulement les éléments généraux de l’eau, mais aussi toutes sortes de composants salés et insolubles qui lui confèrent son corps, son arôme et sa couleur.
Maurice Cosandey explique qu’à l’âge de onze ans, il savait déjà qu’il deviendrait ingénieur. A l’époque, il vivait malheureux avec la belle-mère que son père avait amenée à la maison. Il avait perdu sa mère biologique à l’âge de huit ans. Cet événement fatal a effacé tous ses souvenirs. Depuis, Maurice Cosandey ne sait plus de ce qu’il a vécu jusqu’à l’âge de huit ans. Il se souvient cependant qu’il était malheureux jusqu’à ce qu’il rencontre, à l’âge de vingt ans, Irène, la fille du policier Armand Jauslin, qu’il épousa huit ans plus tard.
Jusqu’à l’âge de 22 ans, Maurice passait le plus de temps possible chez sa grand-mère et l’aidait dans son exploitation agricole. Il y trouva probablement un sentiment de sécurité incontestable. Gustave Roud, le poète du Haut-Jorat, région ancestrale du canton de Vaud, l’a chantée :
J’y songe, étendu sur une douce prairie d’octobre. Mon ami y chargeait un char de ce léger regain que le vent s’amuse à mêler aux cheveux du chargeur, à coller à sa brûlante épaule nue. Et ce travail connu, ces mouvements toujours les mêmes, l’arrêt des chevaux, leur avance, le jet, le retrait du râteau, la fourche vide, la fourche pleine et brandie, tout se déroulait sur le fond d’obscur feuillage comme une sorte de danse lente et parfaite d’où tout écart de rythme étaient banni.
La sobriété verbale de ce monde disparu – on l’entend maintenant dans le silence derrière les phrases de l’homme respecté. Mais il ne parle pas de son âme. Il faut la deviner.