André Ramseyer : Sculpteur.

31 janvier 1914 – 15 janvier 2007.

 

Tourné le 8 décembre 1987 à Neuchâtel.

André Ramseyer – Association Films Plans-Fixes (plansfixes.ch)

 

> Une rencontre artistique d’un genre rare. Cela tient d’abord au domaine d’expression de l’homme : il est sculpteur et, à ce titre, il est aussi rare de croiser son chemin que celui d’un poète. (Il a d’ailleurs commencé à faire de la poésie à 84 ans – dix ans après la réalisation du film pour les Plans Fixes – parce que ses forces ne lui permettaient plus de tailler la pierre). Mais ce qui est rare, outre l’art de l’homme, c’est aussi sa personnalité. La dernière fois qu’on l’a rencontrée, c’était vers 1850 : chez Adalbert Stifter. <

 

Dans une maison exemplaire de la littérature allemande, la maison qu’habite le baron de Risach dans « Nachsommer » de Stifter, on passe une bonne partie de son temps à accrocher des tableaux aux murs et à les déplacer sans cesse jusqu’à ce qu’on trouve qu’ils sont bien accrochés. Correctement, cela signifie ici : à proximité d’autres tableaux et sur des murs dont les couleurs sont en harmonie avec celles des tableaux. Ce n’est que lorsque les tableaux sont accrochés correctement qu’ils peuvent révéler leur valeur, qu’ils montrent qui ils sont. Mal placés, ils sont facilement mal compris et détournés de leur objectif.

 

(Margret Walter-Schneider : Denken als Verdacht. Recherches sur le problème de la perception dans l’œuvre de Franz Kafka.)

 

Lorsqu’il a réalisé en 1948 la commande d’une sculpture pour le bassin de l’Hôtel DuPeyrou à Neuchâtel, André Ramseyer a suivi la méthode du baron de Risach.

 

L’hôtel particulier baroque a été construit entre 1764 et 1772 dans le style des châteaux français. Et voilà qu’en 1948, dans le jardin conçu de manière symétrique, l’étang devait être mis en valeur par la statue d’un artiste contemporain. Le nom de l’objet s’imposait : « La Baigneuse ». Mais la position ?

 

André Ramseyer pensa d’abord à une sculpture couchée. Il créa différents modèles dans son atelier et se rendit régulièrement dans le jardin. Où était l’endroit idéal pour la baigneuse ?

 

Lors de ces visites, son ami peintre Georges Dessoulavy décrivait sa vision par un geste vertical : « Je penserais à la verticalité ! » André Ramseyer pesa la tête, regarda la façade sud du palais, puis réalisa : la solution à la question se trouve dans le bâtiment ! Par chance, les plans de l’architecte bernois Erasmus Ritter (1726-1805) étaient encore disponibles et André Ramseyer put les emprunter. Avec le compas et la règle, il tenta alors de percer le mystère de la maison.

 

L’architecture l’avait toujours fasciné. Lors de son premier voyage à Florence, le jeune homme de vingt ans n’avait cessé de capturer la beauté des bâtiments en les dessinant, bien qu’il ait déjà commencé un apprentissage de sculpteur. « S’il y avait une hiérarchie dans les arts », réfléchit-il dans le portrait des Plans Fixes, « ce qui est bien sûr une façon de voir peu statutaire, je le sais – mais quand même : s’il y avait une hiérarchie dans les arts, l’architecture devrait être la première. »

 

Avec cette attitude, le sculpteur de 34 ans poursuit maintenant dans son atelier les pensées de l’architecte bernois. L’analyse montre que la beauté de l’Hôtel ne réside pas dans le nombre d’or. Sa systématique est plus subtile. Erasmus Ritter a déduit son principe de construction des deux fenêtres du pignon. Leurs meneaux s’écartent en forme de rayons, et c’est dans l’angle qu’ils décrivent que réside le secret des proportions de toute la maison.

 

Cette constatation a conduit André Ramseyer à ne choisir ni l’horizontale ni la verticale pour l’orientation de « La Baigneuse », mais le X. Et c’est avec ce X qu’il a franchi, après une longue fermentation, le pas de l’art figuratif à l’art abstrait, ce qui l’a finalement amené à se retrouver lui-même.

 

La figure du X, qui n’est ni debout ni couché, reflète le paradoxe selon lequel André Ramseyer se considère désormais toujours comme un artiste, mais plus comme un créateur. Il ne s’agit plus pour lui de donner forme à une vision intérieure.

 

Bien sûr, il a commencé comme on l’a fait pendant des millénaires : Un modèle en argile ou en plâtre est agrandi à l’aide d’un instrument appelé pantographe et reporté par points sur un bloc de pierre ; ensuite, le superflu est éliminé au marteau et au burin, et la sculpture est faite.

 

Pendant longtemps, les artistes se sont ainsi considérés comme des monarques qui attribuaient une forme à une base, qu’il s’agisse de sons, de mots, de couleur, d’espace, de métal ou de pierre. Dans les arts disons « descriptifs », le modèle venait de l’extérieur, c’est-à-dire de la réalité, et dans les arts « poétiques » (« poiesis » en grec : « création, production »), de l’intérieur, de l’âme.

 

Or, dans sa deuxième phase artistique, André Ramseyer ne crée plus – il « fait sortir ». Il « obéit » (c’est son mot) à ce qui se trouve dans la pierre et à ce vers quoi elle tend. S’il a bien suivi le discours de la matière, l’artiste et le spectateur sentent derrière l’objet une force qui vient de l’insaisissable et qui ressemble à un souffle.

 

Beaucoup ont rencontré ce secret. Dans le jazz (mais aussi chez Rossini), une combinaison particulière d’actes rythmiques donne l’impression d’une accélération, bien que le mètre de base reste en fait constant. On parle dans ce cas de « drive ». Dans une prose de qualité, le lecteur, par exemple l’écrivain > Maurice Zermatten, perçoit une « petite musique ». André Ramseyer remarque que les bonnes sculptures sont en quelque sorte « habitées ». La tâche du scientifique consiste alors, comme le dit Emil Staiger, à « saisir ce qui nous saisit ».

 

Ce qui est sûr, c’est que « celui qui agit par des moyens plus simples agit mieux ». L’observation qu’exprime le baron de Risach a conduit André Ramseyer à étudier le cercle de plus en plus intensément. Le cercle, quant à lui, a donné naissance à des sculptures ajourées dans lesquelles le vide – en échange avec l’environnement ­– commence à parler également.

 

L’artiste décrit avec des mots délicats (tout comme > Mario Botta) l’interaction de ses objets avec le vent, le temps et la lumière. Ces forces déterminent en partie la qualité de la figure. C’est pourquoi, pour reprendre une expression de Walther Killy, le placement de la sculpture fait « partie intégrante » de la sculpture.

 

« La baigneuse » (1948) dans le jardin de l’Hôtel DuPeyrou à Neuchâtel et « Eurythmie » (1954) dans le parc de l’ambassade suisse à Washington ont trouvé et conservé leur place. « Consolation » (1955), en revanche, a quitté la place centrale de Bienne, « probablement pour aller dans un dépôt », explique sur demande l’architecte coresponsable de la transformation de la place il y a vingt ans.

 

Avec la « Consolation » disparue, une légère ambiguïté se glisse aujourd’hui dans le « Nachsommer », lorsqu’on entend le baron de Risach dire :

 

Le tableau ne se trouve plus là où il était au début. Nous avons déplacé tous les tableaux plusieurs fois, et c’est un plaisir d’essayer de voir si l’effet de l’ensemble ne serait pas meilleur dans une autre disposition. Je ne veux plus rien changer. La position actuelle des tableaux est devenue une habitude et m’est chère, et je ne voudrais pas voir les choses autrement sans mauvaise impression. C’est devenu une joie et la fleur de mon âge.

 

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